Open data : données ouvertes pour monde ouvert… ou totalitaire ?
Invité : François Paychère, magistrat à la Cour des comptes de Genève
Le XXIème siècle sera transparent ou ne sera pas.
Un vent nouveau semble en effet souffler ces dernières années sur les politiques publiques occidentales, avec un certain nombre de concepts, où le rapport des citoyens avec leurs gouvernants paraît devoir se transformer d’une relation verticale (contrôle / soumission) à un rapport plus horizontal, dans une totale transparence de l’action publique.
La déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 en posait évidemment les bases en imposant à tout agent public de rendre compte de son administration. Mais les politiques d’ouverture des données nous conduisent sur un bien autre chemin.
Redéfinissons rapidement quelques concepts utilisés (et parfois maltraités dans les débats) : une première confusion est fréquente entre accès à l’information et accès aux données.
En effet, un certain nombre d’informations publiques, nécessitant une large publicité, bénéficient déjà des nouvelles technologies pour assurer leur diffusion : ainsi Légifrance est le premier canal dématérialisé d’informations certifiées, où l’on trouve non seulement des textes législatifs ou règlementaires, que de la jurisprudence ou des nominations à des emplois publics. Mais cette information unitaire, même disponible sur internet, est totalement distincte de l’accès direct à des données organisées et constituées en base, pouvant être traitées par un ordinateur.
L’open data concerne donc seulement la diffusion de ces bases qui, agglomérées en tout ou partie avec d’autres sources structurées constituent le big data.
La seconde confusion consiste à confondre l’ouverture des données elles-mêmes avec leur moyens de traitement. Nombre de discours sur cette ouverture concernent en réalité les traitements opérés par diverses méthodes avancées que l’on qualifie globalement de data science. Justice prédictive avec de l’intelligence artificielle, moteurs de recherches avancés avec divers critères, robots juristes sont autant d’applications algorithmiques qui sont nourries de données mais n’ont rien à voir avec la politique d’ouverture elle-même.
Les données c’est le pétrole et donc le carburant du XXIème siècle, les algorithmes le moteur.
L’ouverture de ces données ne s’opère donc pas de manière si anodine que cela : alors oui, quand l’Open Government Partnership (lancé en 2011 sur la base d’un accord multilatéral avec 70 pays à bord, soutenu par le Tides Center, organisation philantropique américaine) déclare solennellement que cette gouvernance 2.0 ou 3.0 (je m’y perds) va favoriser la transparence de l’action publique, prévenir la corruption, associer les citoyens aux politiques publiques, on peut y lire un nouvel achèvement pour la démocratie.
Mais concrètement qui dans la société civile aura les moyens de traiter ces données. Spécifiquement pour les décisions judiciaires, qui va bénéficier directement de l’ouverture de ce marché. Et, même si l’on ne discutera pas aujourd’hui d’une application spécifique, quelles transformations, dans la construction de la jurisprudence par exemple, anticiper ?
Enfin, comment articuler cette ouverture avec le règlement européen sur la protection des données, qui entrera en vigueur le 25 mai 2018 ? Puisque open data ne rime pas nécessairement avec données anonymes… le nom des juges administratifs français (en tout cas de certains présidents de formation de jugement) sont déjà ouverts !
Ecoutez l’entretien de François Paychère, magistrat à la Cour des comptes de Genève, sur Amicus Radio.