Chronique de l’émission « La justice prédictive »

Quel avenir pour la justice dite prédictive ?

Invité : Bruno Cathala, juge à la Cour de cassation

La justice prédictive a été un des grands sujets de buzz de l’année dernière… j’emploie le passé car une expérimentation a pris fin en octobre 2017 dans les cours d’appel de Lille et de Rennes et le constat semble sans… appel : Cela ne servirait à rien. Ou presque.

Il faut dire que les promesses de départ étaient ambitieuses : challenger, comme l’on dit aujourd’hui, l’impartialité du juge, lever le voile sur un avenir rempli d’aléa judiciaire, conseiller – dissuader même – le justiciable d’aller rencontrer un juge car, tout bien pesé, son affaire ne vaudrait pas tripette.

Cet enthousiasme excessif, hérité de la réussite des systèmes prédictifs des pays de common law, s’est heurté à une réalité tout autre sur le continent, qui ne tient pas à la légendaire résistance au changement des français, qui auraient la baguette coincée sous leur bras et leur béret vissé sur la tête.

La machine apprenante, l’intelligence artificielle, ce bazar de silicone qui sait maintenant construire de manière autonome ses propres règles de gestion n’est effet pas très souple aux changements complets de paradigmes et de concepts. Prévoir la météo à plusieurs jours de distance reste complexe par le nombre d’éléments à prendre en compte mais les règles physiques ne sont pas totalement bouleversées au hasard de la volonté des humains. Apprendre à jouer au Go est autrement plus profond que jouer aux échecs mais – là encore – des règles solides servent de fondement.

Que penser de la solidité de la loi et des règles fondatrices du droit continental ? Très simplement que si la loi change, toute la construction jurisprudentielle s’écroule. Donc d’emblée, l’affaire partait mal.

Ajoutons à cela un détail qui n’en est pas un : qu’est-ce que ces machines apprennent exactement en ingurgitant des tonnes d’affaires à l’intérêt jurisprudentiel extrêmement variable (pour ne pas être désagréable avec leurs producteurs).

Rien.

Enfin si, cela peut nourrir des calculs statistiques (nous sommes d’ailleurs plus proches de la prévision que de la prédiction)… mais croire que les intelligences artificielles apprennent ainsi la règle de droit revient à envisager que mon chat – qui est fort sympathique – sait lire l’heure car il anticipe en miaulant le moment de l’arrivée de ses croquettes.

Les concepteurs des intelligences artificielles admettent d’ailleurs volontiers cette limite : ils savent avoir perdu la compréhension de ce qui se passe dans la boîte noire des intelligences artificielles… et d’ailleurs ils ne s’en émeuvent que très modérément !

Pourquoi ?  Car seul le résultat compte ! Par petits pas, test de toutes les possibilités et des milliards de vies consommées, une machine arrive à terminer Super Mario. C’est cela qui compte pour ses concepteurs et non la manière dont elle joue.

Alors on fait quoi de tout cela ? Rien ?

Poursuivez avec l’entretien de Bruno Cathala, juge à la Cour de cassation sur Amicus Radio.