L’enquête pénale à l’ère numérique
Invité : David Bénichou, vice-président chargé du service de l’instruction au tribunal de grande instance de Rennes
Une certaine représentation populaire imagine certainement les enquêteurs équipés d’outils d’investigation extrêmement avancés, d’écrans géants tactiles réalisant des connexions entre toutes les données de l’affaire, dans une lumière savamment travaillé sur fond musical des Who…
La réalité est beaucoup plus… comment dire… rudimentaire et en tous les cas diversifiée. A côté de certains services spécialisés utilisant pour certains aspects, nous le verrons, des applications extrêmement avancées, la masse des enquêtes continue de se dérouler de manière extrêmement classique, à base de croisements et de déductions.
Comment se déroule une enquête pénale du XXIème siècle ? Voilà la question de nous nous poserons – que nous vous poserons David Bénichou.
Pour comprendre l’enquête pénale du XXIème siècle, je vous propose déjà de vous replonger dans l’histoire de l’enquête, et, – permettez-moi cette tentative d’analogie – de procéder tel l’enquêteur à la recherche d’indices pour remonter le fil jusqu’à l’ère « numérique ».
Au 19ème siècle, s’étaient développées officieusement des pratiques d’ « enquête », alors non envisagées par le code d’instruction criminelle de 1808. Enquête « illégale » ou « extralégale », dénoncée pour cela par certains juristes de l’époque, cette forme d’enquête avait malgré tout fini par s’imposer en pratique, en dehors des cas réservés à une autre forme d’enquête dite de flagrance, et s’en différenciait par un esprit de non-coercition à l’égard des personnes concernées. Il fallut pourtant attendre 1959 pour que le code de procédure pénale légalise ces pratiques, intercalant aux articles 75 à 78 du code ce qui sera appelé l’enquête « préliminaire » dans les interstices séparant l’enquête de flagrance et l’instruction judiciaire.
Aujourd’hui, si l’on ouvre le code de procédure pénale, on y trouve toujours inscrit cette distinction entre enquête de flagrance et enquête préliminaire avant que ne soient abordées les investigations dans le cadre de l’instruction.
Mais depuis 1959, l’enquête a continué d’évoluer, au gré des transformations de la criminalité et des réponses procédurales – et politiques – à y apporter. Le délinquant du XXIème siècle n’est plus celui de 1808 ni même du milieu du siècle dernier ! L’enquête pénale du XXIème siècle serait devenue celle de l’ « ère numérique ». Pour autant, il n’est inscrit nulle part dans le code le terme d’enquête « numérique », et en soit, le mot ne revient que très ponctuellement.
Alors à quoi de quoi s’agit-il ? On ne l’entend pas ici au sens premier et « mathématique » du terme, mais davantage le mot renvoie à l’utilisation des technologies de l’information et par extension, « l’ère numérique » à une « culture numérique » que décrivait dans son ouvrage du même nom Milad Doueihi pour mettre en exergue la transformation de la vision du monde que produit la diffusion des technologies digitales sur leurs utilisateurs.
« Télévision numérique », « photo numérique », « téléphonie numérique »… « Radio numérique » et aujourd’hui, enquête numérique ? Ces transformations concernent effectivement aussi la matière pénale. Délinquants et enquêteurs y sont confrontés, que l’enquête s’opèrent « dans un milieu numérique », soit qu’elle s’effectue avec « des moyens numérique ». Il faut alors distinguer les deux situations.
En effet, l’enquête dans un milieu numérique nécessite des techniques spécifiques pour permettre aux enquêteurs de rechercher les délinquants qui usent, avec stratégie, des « bénéfices » des technologies de l’information et de la communication pour mener à bien leur dessein criminel. Pour autant cela n’implique pas nécessairement de réinventer la procédure qui va avec.
Concernant les outils numériques au service de l’enquête, le changement de paradigme est beaucoup plus profond. Les capacités de traitement de l’informatique ont rendu possible des traitements et des recoupements difficilement accessibles à la cognition humaine. On pense bien sûr en tout premier lieu aux outils d’analyse criminelle utilisées dans l’affaire dite du « petit Grégory » ou encore récemment à l’ordre du jour dans des affaires ayant pu impliquer Nordhal Lelandais.
La physionomie « initiale » de l’enquête a alors progressivement changé, vers un effritement des cadres « classiques » d’enquêtes jusque à aboutir à des règles de procédures finalement dérogatoires liées aux domaines de la délinquance et de la criminalité organisée (parmi lesquels le domaine du trafic de stupéfiants et de la lutte contre le terrorisme). On assiste à la création d’un dispositif légal autorisant une plus grande coercition des moyens d’investigations, et ainsi à une diversification technologique des mesures et outils à la disposition des enquêteurs. Même si certains de ces moyens ne sont réservés qu’à des contentieux spécifiques.
Ecoutez l’entretien avec David Bénichou, vice-président chargé du service de l’instruction au tribunal de grande instance de Rennes.