Blockchain… mode technologique ou révolution ?
Invitée : Primavera de Filippi, chercheuse au CERSA (unité mixte du CNRS et de l’Université Paris II) et chercheuse associée au Berkman Center for Internet & Society (Université de Harvard)
Il y a parfois dans la vie des concepts qui claquent, qui sonnent bien, fondamentaux même pour notre monde… mais qui sont impossibles à expliquer autour de nous.
Les blockchains entrent assurément dans cette catégorie. Le concept apparaît incompréhensible pour le commun des mortels même si je m’y essaye à toute occasion. Je commence habituellement en parlant de Bitcoin… là les gens connaissent un peu mais ils s’enferment rapidement dans l’idée que ce n’est qu’une monnaie d’échange dématérialisée et ont du mal à voir d’autres applications concrètes.
Après j’ai une autre astuce pour expliquer que l’on peut faire beaucoup plus de chose avec ce « bazar », terme employé par notre invitée dans sa bio Twitter.
Je prends l’exemple de quelques personnes qui seraient autour d’une table (disons 6), et qui verraient ensemble qu’il y a une feuille de couleur rouge au milieu. Ces personnes seraient ensuite en capacité de témoigner de cela auprès d’autres. Interrogées sur la couleur de la feuille, elles pourraient en témoigner auprès de 6 autres, qui peuvent en parler ensuite chacune à 6 etc. Au final, une communauté entière certifierait de la couleur de la feuille feuille. Et si un petit malin s’amusait à la repeindre en bleu, ou à corrompre 1 maillon de la chaîne, tout le monde pourrait relever la supercherie.
On commence à s’approcher du cœur du sujet même si tout cela reste encore un peu stratosphérique… Il faut commencer en réalité par concevoir les blockchains comme une sorte de registre géant, totalement décentralisé et transparent, dans lequel pourrait être consigné tout type de transaction. De la « cryptomonnaie » comme l’on dit, mais aussi tout échange nécessitant la certification d’un « tiers de confiance » voire même des contrats et l’exécution de ces contrats.
Cela commence à devenir plus concret ? J’espère ! Rajoutons donc une couche de complexité en se posant une question évidente… pourquoi parle-t-on de « chaine de blocs » ?
Je vous arrête tout de suite rien à voir avec des briques en plastiques assemblables à volonté ! (je ne cite pas de marques)
En fait cela renvoie au fonctionnement même de cette technologie, qui assemble des groupes transactions en « blocs » et qui sont certifiées par ces fameuses personnes réunies autour d’une table décrites tout à l’heure… on appelle même ces gentils opérateurs des mineurs ! Là aussi c’est assez imagé et il n’y a pas grand-chose de commun avec le temps des corons (quoique). Les mineurs se trouvent en fait dans les différentes intersections du réseau constitué par tous les participants à la blockchain. Ces intersections (ou nœud) sont des ordinateurs suffisamment puissants dédiés à cette certification. L’originalité vient du fait qu’il n’y a pas qu’une seule autorité de centralisation, mais tout un réseau d’autorités interconnectées sans hiérarchie.
Pour reprendre le principe, on va dire que A veut effectuer une transaction vers B. Cette transaction est ajoutée à plusieurs autres transactions en cours et assemblées dans un bloc. Le bloc est validé par les mineurs (que l’on appelle aussi « nœuds » du réseau, rien de péjoratif hein ? juste pour vous le rappeler) avec des moyens cryptographiques, le bloc est ajouté à la chaîne de blocs, diffusée aux autres noeuds et… B reçoit la transaction de A !
Ouf !!!
A partir de là les potentialités sont énormes, du fait de l’inviolabilité (supposée en tout cas) du système. On peut distinguer 3 grandes catégories d’applications aujourd’hui :
- Les transferts de monnaies, titres, actions etc
- Les fonctions de registre (immobilier, industrie, vote même)
- Les « smarts contracts » qui sont des programmes autonomes qui effectuent automatiquement les termes d’un contrat sans autre intervention humaine
Mais, naturellement, comme toute technologie, il y a tout de même une certaine réflexion à conduire pour en mesurer les enjeux…
Ecoutez l’entretien avec Primavera de Filippi, chercheuse au CERSA (unité mixte du CNRS et de l’Université Paris II) et chercheuse associée au Berkman Center for Internet & Society (Université de Harvard).