Chronique de l’émission « Gouvernés par les données ? »

Emission du 30 mars 2021

Invité : Adrien Basdevant, avocat et membre du Conseil National du Numérique

Alain Supiot nous alertait en 2015 dans la Gouvernance par les nombres, des conséquences d’un projet scientiste prenant la forme d’une gouvernance par les nombres et qui se déploie sous l’égide de la « globalisation ». La généralisation de dispositifs dits « d’intelligence artificielle » dans tous les recoins de nos vies ne contribue-t-elle pas à composer cette matrice aussi discrète qu’efficace, en captant sans cesse plus de données ? Ce diagnostic n’est-il pas trop alarmiste ?

Discutant il y a peu avec un ami doublement docteur (il se reconnaîtra), j’ai pris conscience de la fragilité de ma conception du monde, pourtant lentement construite depuis des décennies entre droit et informatique.

Happé depuis la lecture de « l’Emprise numérique », de Cédric Biagini, par l’analyse des discours critiques des nouvelles technologies, j’ai déconstruit ma propre compréhension du progrès. Solidement persuadé depuis mes 10 ans que l’informatique était, de manière univoque, LA chance de l’humanité pour enfin mettre un peu de rationalité et d’efficacité dans la société, un monde s’était ouvert.

Je pensais avoir pris conscience que l’outil qui illuminait depuis si longtemps mon quotidien venait d’être saisi par un étrange projet de société, mercantile et global, le dénaturant de sa vocation émancipatrice. Sherry Turkle, psychologue du MIT, avait même mis les mots sur ce que je ressentais profondément : « Nous avons eu une histoire d’amour avec une technologie qui semblait magique. Ce qui a commencé par un phénomène de salon a fini par devenir un outil de manipulation de masse ». Le livre d’Adrien Basdevant et Jean-Pierre Mignard, L’Empire des données, achevait de me convaincre d’un changement profond de la manière dont nous gouvernons les affaires humaines.

Mais mon ami avait décidé de changer le cours des choses en me disant qu’il fallait déconstruire cette déconstruction. Outre le vertige me saisissant sur l’instant, il m’invitait à me ressaisir pour embrasser à nouveau l’optimisme d’une technologie émancipatrice et de ne pas céder à la peur. Car l’on gagne à chaque instant avec les discours de peur : non seulement l’on a plus de chance de capter l’attention de son audience, mais l’on gagne aussi à chaque coup. Si le risque se réalise, on avait prévenu et l’on devient un prédicateur de choix. Si le risque ne se réalise pas, c’est grâce aux mesures prises grâce à l’alerte lancée.

Bien, je vous avoue ne pas m’être totalement remis de cette introspection en poupée russe et je caresse désormais l’idée de tout plaquer pour aller rejoindre ce qui reste de hippies sur les plateaux du Larzac (après tout c’est eux les vrais pionniers libertaires).

J’attends donc d’Adrien Basdevant qu’il parvienne à réconcilier ce déchirement qui m’habite désormais… et qui nous habite ?

Car l’on sent bien que quelque chose se passe avec le numérique. Les applications se multiplient sur nos téléphones mobiles, le gouvernement les investit avec des solutions additionnant nos contacts possiblement atteints du covidés… on attend de l’IA (ou plutôt des IA) qu’elle nous recommande toujours mieux, en tout lieu, le comportement optimal.

Bon, je ne semble pas tout à fait guéri on dirait.


Ecoutez l’entretien avec Adrien Basdevant, avocat et membre du Conseil National du Numérique